Diacritik, Christian Rosset, 3 février 2021
Rencontre avec l'inconnu [+]
Visages du temps est un livre « en 17 récits de longueur variable » de Sammy Stein publié en novembre 2020 par les Éditions Matière. De cet auteur qui « venu au monde trop tard, n’ayant pu connaître ni la tendre houlette de Peyo ni la rude férule d’Hergé, dut se résoudre à fréquenter les bancs de l’École des beaux-arts de Paris, dans l’atelier d’Annette Messager », j’ignorais tout avant d’ouvrir — Éditions Matière oblige — ce très bel ouvrage. L’envoi était accompagné d’un petit mot précisant, avec humour, son caractère « très peu minimaliste ». Et c’est un fait que j’ai mis du temps, non pour en reconnaître la qualité, ou l’authenticité, de la démarche de son auteur « farouchement artiste » pour qui « la création ne se conçoit jamais autrement qu’associée à un processus de destruction », mais (une fois encore) pour y entrer, opération faussement élémentaire qui implique le rejet de toute forme de jugement afin de pouvoir se concentrer sur l’expérience de rencontre avec l’inconnu proposée (même si çà et là, du familier circule en ces pages aussi denses qu’aérées). Un des récits de Sammy Stein s’intitule Salut Marcel. Alors qu’on pourrait s’imaginer que ce salut s’adresse inévitablement à Duchamp, nous découvrons avec étonnement (et plaisir) qu’il s’agit de Bascoulard, ce « dessinateur virtuose et clochard magnifique » que Frédéric Pajak a contribué à faire connaître en exposant ses dessins, publiant dans la foulée une superbe monographie aux éditions Les Cahiers Dessinés en 2014. On peut trouver sur YouTube une vidéo produite par la librairie Mollat où Sammy Stein s’exprime avec humour et retenue : « Je m’intéresse autant aux installations, à l’art contemporain, à l’image du jeu vidéo, qu’à la bande dessinée. Et je pense qu’aujourd’hui, il faut montrer une bande dessinée qui ne soit pas refermée sur elle-même, qui ne regarde pas que son histoire. […] Une de mes bandes dessinées préférées, c’est la notice SNCF qui explique comment casser la vitre pour s’évader. » Si Visages du temps (beau titre, soit dit en passant) peut nous abandonner au bord du chemin, si l’on n’est pas sensible à l’usage de certains effets numériques, il est toujours passionnant par son projet — par la variété de ses inventions formelles, son énergie et sa mélancolie. On guettera la suite de ce travail avec curiosité. [-]