Le Courrier picard, Daniel Muraz, 11 novembre 2014
Un drôle de cinéma parlant. [+]
Un drôle de cinéma parlant.
La couverture annonce la couleur, avec cette confrontation entre Tarzan et un Lénine à l’air sévère (ou juste perplexe ?). La juxtaposition insolite et le deuxième degré sont rois dans ce petit bouquin.
Après s’être fait la main, dans un prélude en forme d’« Almanach 2007 des trucs sympas » en 10 images extraites de l’actualité politique française (dont de Gaulle lançant, debout dans sa DS : « Transition énergétique : mon cul ! »), Stéphane Trapier repasse en revue les grands classiques du cinéma. Cow-boys et indiens, héros de films de capes et d’épées, pirates ou héros romantiques du 7e art et Tarzan, héros récurrent et fil rouge de l’album, défilent au fil des pages, saisis un peu grossièrement, comme dans un dessin recopié directement sur les images des films dont ils sont extraits.
Si les figures sont connues, les phylactères collés sur les dessins sont, eux, particulièrement incongrus : Robert Mitchum, dans La Nuit du Chasseur entend expliquer les rythmes scolaires à Madame Harper et ses deux enfants ; Bogart évoque à Lauren Bacall la différence entre « fantasme » et « vision érotique » ; Jane tente de faire flancher Tarzan en lui vantant des communications qui ne « coûteraient que zéro trente-quatre euros TTC la minute » ; Zorro, dans son image icônique sur son cheval dressé doit absolument trouver « cette usine de viande glacée » ; Gatsby entouré de jeunes femmes avoue être un « lanceur d’alertes » ; Lincoln sur son âne se fait aussi à la « présidence normale » ; Simone de Beauvoir chantonne à Jean-Paul Sartre qu’« être une femme libérée, tu sais, c’est pas si facile... » Et c’est comme ça pendant une centaine de pages ! Jusqu’au dernier, et très réussi dessin, d’un cow‑boy solitaire dans la Vallée de la mort à qui l’on fait dire : « Allô… allô !! Je… Je vous entends très mal madame, ça ne capte pas… Allô… »
Dans une veine post-situationniste, Stéphane Trapier associe ainsi des maximes politiques, des phrases médiatiques ou des slogans de pub avec des illustrations, reproduisant des scènes de grands classiques du 7e art redessinés à traits gras et colorisés à l’ancienne.
La drôlerie iconoclaste du rapport texte/image fonctionne à plein. Et l’effet d’accumulation (même s’il peut lasser à la longue, auquel cas, on pourra s’adonner avec bonheur au feuilletage au hasard) accroît le décalage entre les héros d’autrefois et le langage contemporain. Avec un effet drôle et burlesque qui met à nu les effets propagandistes du discours, qu’il s’agisse de l’« élément de langage » militant ou simplement du slogan commercial.
Après Prokon, autre ouvrage sorti dernièrement dans cette même collection, voilà de nouveau de quoi avoir Matière à réflexion sur notre société de consommation. Et plus largement sur la société en général. [-]