BFM.TV, Jérôme Lachasse, 23 juin 2020
« L’humour à la télévision dans les années 1970 et 1980, c’était épouvantable. » [+]
QUI EST STÉPHANE TRAPIER, AUTEUR DES AFFICHES DU THÉÂTRE DU ROND-POINT ?
Dessinateur des affiches du Théâtre du Rond-Point, Stéphane Trapier sort une BD dans la lignée de Fabcaro. L’occasion d’en savoir plus sur cette figure parisienne, connue de tous et finalement méconnue.
À Paris, Stéphane Trapier est partout. Impossible de rater, dans les couloirs du métro ou sur les colonnes Morris, les affiches aux inspirations surréalistes que réalise cet illustrateur pour le Théâtre du Rond-Point depuis une quinzaine d’années.
Il publie ces jours-ci aux éditions Casterman Mes plus grands succès, qui contrairement aux apparences n’est pas une compilation de ses plus belles affiches pour le Rond-Point, mais un album de BD où il livre des détournements absurdes des classiques du cinéma et partage sa philosophie de vie à l’aide d’histoires où son père et lui apparaissent sous les traits de Valéry Giscard d’Estaing et d’Emmanuel Macron.
Bien entendu, pour espérer livrer ses « plus grands succès », il faut déjà être un tantinet connu. « Les Parisiens me connaissent, mais Villeneuve-la-Garenne et Cergy-Pontoise moins – et Pornic, où je suis actuellement, encore moins. Je peux cependant acheter du far breton incognito », s’amuse Stéphane Trapier. La couverture de son album, qui parodie l’affiche du film Emmanuelle, nous donne quelques indications sur son apparence physique. S’il s’assoie rarement de manière lascive dans un fauteuil en rotin (« J’ai l’habitude de m’asseoir, mais je n’ai pas de fauteuil aussi grand. Comme j’habite à Paris, les appartements sont petits… »), Stéphane Trapier est bien un homme blanc d’une cinquantaine d’années. Il porte des lunettes, est un peu dégarni et a une barbe noire teintée de blanc.
On l’aura compris, Stéphane Trapier aime l’humour, et Mes plus grands succès est en réalité un éloge à une culture déjà surannée dans un monde qui va trop vite. Il a trouvé le titre avant de faire l’album : « Je trouvais que ça sonnait comme les compilations de variétés ringardes. Il y a eu plein dechanteurs qui se croyaient très célèbres et qui étaient très mauvais et que personne ne connaissait – même les gens qui les connaissaient le regrettaient la plupart du temps. J’en ai connu. C’est ce qui m’amusait avec ce titre. » Ce titre ne répond en rien à la question qui nous anime : qui est Stéphane Trapier ? « C’est une vaste question », note-t-il. « Je ne sais pas comment y répondre. » Essayons tout de même. Né le 15 juillet 1964, Stéphane Trapier est passé « il y a fort longtemps » par les Beaux-Arts de Cergy, où il a suivi une formation qui le destinait à l’art contemporain. En sortant, il s’est donc lancé dans le graphisme et a fondé avec Xavier et Annette Barral l’agence de graphisme Atalante, qui lui a permis de travailler pour l’Opéra de Paris et La Cité de la Musique. Dessinateur de presse dans Télérama, Le 1 Hebdo, XXI ou encore Le Monde, il a rêvé « comme beaucoup de dessinateurs » de travailler au Canard Enchaîné. « Mais je me suis vite aperçu que c’était très mauvais, ce que je faisais. Très mauvais, parce que comme beaucoup de dessinateurs de presse, je parlais de gens que je n’aimais pas. Les bons dessinateurs de presse ne sont pas des moralistes. »
Il a aussi fait de l’illustration jeunesse, notamment pour Bayard, avant de tourner le dos à cette activité parce que la jeunesse le « gonflait un peu ». Puis il a repris le dessin, notamment pour Fluide Glacial, où il a pu côtoyer une de ses idoles, Daniel Goossens, auteur de BD et pilier du magazine. Il dessine les affiches du Théâtre du Rond-Point, depuis 2004, date à laquelle Jean-Michel Ribes a pris les rênes de l’institution. Il conçoit les affiches une fois par an, en une seule fois, vers février-mars, pour la brochure de saison qui sert aux abonnements. « Je fais plusieurs croquis par spectacle, qui sont présentés aux compagnies. Jean-Michel Ribes les voit aussi. Il y a une double validation. Je dois être dans l’esprit du théâtre et en même temps ça doit correspondre aux désirs des différentes compagnies, qui peuvent être variés. Il y a énormément de contraintes. C’est très rare d’être complètement libre en dessin – à moins de vendre beaucoup. On a toujours un client et un commanditaire. »
Ses affiches ressemblent à nos rêves les plus fous : on y voit un homme assis dans un caniche, Patrick Timsit enlacer une bombe ou des cerfs costumés danser : « Quand je n’ai pas d’idée, je fais n’importe quoi et les gens pensent que c’est surréaliste. C’est souvent très terre-à-terre, ça parle vraiment du sujet du spectacle. Des fois c’est très simple et des fois c’est extrêmement compliqué. Ça dépend des personnalités. »
Sa BD a été moins contraignante à réaliser. Il y développe, comme l’ont fait Michel Hazanavicius dans La Classe américaine et Fabcaro dans Et si l’amour c’était aimer ? un goût pour le détournement, les dialogues naïfs des premiers doublages, les répliques qui claquent et les tournures de phrases ampoulées. « Comme je suis beaucoup trop fainéant et que je n’ai pas du tout d’imagination, je serais incapable de faire un roman, mais j’arrive à faire une réplique de roman ! Ce qui n’est déjà pas mal ! »
Ses références en matière d’humour vont de la troupe des Branquignols (où a débuté Louis de Funès) aux revues Pilote et Fluide Glacial (« l’humour français a été modifié par Pilote, puis Gotlib ») en passant par les Monty Python (« Ce fut un immense soulagement que ça puisse exister ») et Palace de Jean-Michel Ribes : « C’était une bulle d’oxygène à la télévision. L’humour à la télévision dans les années 1970 et 1980, c’était épouvantable. C’était des chansonniers, la France qui mange du gigot. »
Dans Mes plus grands succès, il se moque avec nostalgie de cette France, et pastiche Pif Gadget et le dessinateur américain Basil Walverton, connu pour ses personnages monstrueux déformés, pour rendre un hommage « un peu rigolo » à sa mère, disparue en 2019. Dans sa BD comme dans ses affiches, l’humour l’emporte toujours sur la tragédie. [-]