Pré carré (n° 2), Julien Meunier, 4 juillet 2013
Tout le livre est un passage d’un phénomène à un autre, l’addition successive d’intensités [+]
Mille yeux. À propos de Voyage de Yûichi Yokoyama.
[…] Tout le livre est un passage d’un phénomène à un autre, l’addition successive d’intensités très courtes. Le découpage, qui rythme précisément, se focalise sur un événement, le déploie, l’organise dans l’espace, distribue les points de vue, crée une tension jusqu’à son acmé, puis passe au suivant. À l’intérieur de ça, les regards vides sont à la foi les déclencheurs et les relais des phénomènes qu’ils observent, les vecteurs d’une intention indécidable, et c’est justement cet indécidé du regard qui provoque une friction entre évidence et fascination. C’est la focalisation obstinée sur les événements tels qu’ils se produisent qui souligne que quelque chose arrive. Et lorsque les visages se croisent, lorsque les regards se croisent, lorsqu’un visage en ausculte un autre, c’est comme un emballement de l’attention, une mise en crise vers un trouble, peut-être même le sentiment de l’apparition d’un récit. Un champ/contrechamp sur deux visages en gros plan, une main qui plonge dans la poche intérieure d’une veste, et c’est toute ne grammaire du suspens qui apparaît. Il ne se passera rien d’autre, rien d’autre n’a besoin d’advenir, Yokoyama construit sa narration sur cette limite entre le réel et la fiction, entre surplace et action. L’auteur n’est pas dans l’invention d’un univers, de petits signes reconnaissables graphiques ou marottes visuelles, mais plutôt dans un ailleurs nourri par toute une stupéfaction du réel. […] [-]