Diacritik, Christian Rosset, 19 mars 2019
LOTO nous laisse entièrement libres d’interpréter ces douze fois huit planches [+]
LOTO est un recueil de douze fascicules de huit pages ayant quelque lien avec ce qu’on entend par bande dessinée composé par Alexis Beauclair et publié par les Éditions Matière. Chaque planche qui le compose propose un quadrillage de 4 fois 3 cases non séparées par des blancs (tant pis pour ceux que l’exploration de l’espace intericonique a le don de mettre en transe). Et à chaque fois, on observe une progression graphique, tant de case à case (si on suit le sens de lecture que la bande dessinée nous a inculqué) que de page à page (si on arrive à prendre suffisamment de distance avec ce mode de lecture pour enfin envisager l’espace de manière strictement visuelle, donc non-verbale). Au début, les pages des fascicules étaient dessinées à la main. Puis l’ordinateur a pris la relève (et, dans LOTO, afin de « rester dans l’épure », l’auteur a « pris le parti, pour la présente édition, d’uniformiser le traitement en redessinant à l’ordinateur » les planches manuscrites).
Alexis Beauclair nous raconte dans une postface à son ouvrage avoir pris, alors qu’il était encore étudiant dans une école d’art, la décision de ne faire que ce qui lui plaît en bande dessinée : « Ce fut une libération, provoquant un élan long de deux semaines durant lesquelles je remplis un carnet entier de cases aux compositions (d’apparence) abstraites. L’idée directrice était de s’affranchir de tout ce à quoi on identifie communément la bande dessinée : histoire, personnages, décors, etc. Qu’allait-il rester ? Bien vite, sur les pages de ce carnet, la réponse m’apparut, évidente : le mouvement — ou plutôt un certain type de mouvement, le mouvement lu. »
De manière assez différente de Lewis Trondheim proposant de petites bandes dessinées apparemment abstraites, mais dont il est nécessaire d’interroger les possibilités narratives (comme La Nouvelle pornographie ou Bleu), ou de José Parrondo et Nina Cosco qui viennent de fonder les merveilleuses Éditions Abstraites (ce qui est encore autre chose : comme un manifeste), LOTO nous laisse entièrement libres d’interpréter ces douze fois huit planches : expérience de délivrance totale avec possibilité d’y revenir autrement au gré de son désir d’exercer son regard sans contrainte : de l’aiguiser au plus vif. Mais aussi de lui offrir du repos, ce qui est, on en conviendra, plus qu’appréciable. [-]