Lire, Pascal Ory, 3 novembre 2008
L’idée est géniale, le matériau prodigieux. Considéré d’un peu haut, ce livre ferait songer à une BD d’avant-garde [+]
L’idée est géniale, le matériau prodigieux. Considéré d’un peu haut, ce livre ferait songer à une BD d’avant-garde : noir et blanc net et sans bavure, texte d’un anticléricalisme pince-sans-rire, références historiques et esthétiques ambitieuses… Or, il s’agit, en fait, du remontage de dizaines d’images pieuses fabriquées entre les années 1930 et les années 1960 par la « phalange virginale des premières suivantes du Christ Jésus », pieuses Vosgiennes surnommées les Sœurs Bernadette, au service du projet d’évangélisation d’un chanoine fondamentaliste. Pas de risque d’oublier, à sa lecture, que le mot « propagande » est une invention de l’Église catholique, engagée dans une lutte à mort contre le Mal. Ici, il s’agit de lutter contre « l’art matérialiste, cubiste et communiste », au moyen d’images simplissimes réduites à l’état de silhouettes. L’adjectif « manichéen » a été inventé tout exprès pour ces vignettes-là, où le Diable tente le pécheur en habit de Méphistophélès, où l’on stigmatise une jeune femme langoureusement allongée sur un canapé, au motif qu’elle se laisse corrompre par le tryptique « Rêveries/Lectures/Cinéma » : le reste à l’avenant. Tout l’art de l’éditeur d’aujourd’hui — Laurent Bruel — est de garder son sang-froid devant cette machinerie d’un systématisme forcené, tout en établissant de subtils liens entre l’éthique des Sœurs Bernadette et l’esthétique de Marcel Duchamp ou de Kasimir Malevitch. Un comble : cette version post-moderne de la Méthode paraît aux Éditions Matière ! Décidément, le Malin fait feu de tout bois. [-]