Les Inrockuptibles, Anne-Claire Norot, 8 janvier 2014
des situations dignes des épisodes de la série pour enfants "Martine" [+]
L’envolée.
Il faut tout d’abord que l’œil s’habitue aux couleurs criardes, puis il faut trouver la bonne distance avec la page pour appréhender les dessins, voir ce qu’ils représentent. Mais quel délice alors que de plonger dans l’univers fou de Yûichi Yokoyama. Dans Baby boom, la mangaka imagine une multitude de courts épisodes muets (avec des explications sybillines en fin de volume), dans lesquels il met en scène les mésaventures quotidiennes d’un père — représenté en costume d’oiseau, avec un casque à bec — et son fils, un poussin rondouillard.
Yûichi Yokoyama reprend quelques éléments distinctifs de ses précédents et fascinants albums — hommes costumés et masqués, pages découpées en cases parallélépédiques, utilisation des onomatopées. Il s’éloigne néanmoins de ce qui avait fait sa marque de fabrique, à savoir un jeu en noir et blanc sur les volumes, la géométrie et les perspectives, qui aboutissent malgré l’abstraction à un récit haletant. Surtout, Yûichi Yokoyama utilise ici pour la première fois la couleur, et quelle couleur ! Chaque épisode est réalisé au feutre en un, deux (la plupart du temps) ou quatre coloris pétants et en surimpression.
Derrière ce feu d’artifice, on découvre donc cet étrange couple dans des situations dignes des épisodes de la série pour enfants Martine : papa et poussin au square, papa et poussin font le ménage, papa et poussin prennent l’avion, papa et poussin en forêt. Les deux protagonistes, parfois accompagnés d’une ribambelle d’amis du poussin (bébés lapins, pingouins ou animaux non identifiés), semblent vivre à toute vitesse — le dessin toujours vif et rapide de Yûichi Yokoyama adopte ici une spontanéité ébouriffante, donnant une impression de tourbillon.
Deriière ce style graphique frénétique — on a parfois l’impression d’avoir affaire à un flipbook mis à plat —, Yûichi Yokoyama établit pourtant un formidable précis d’éducation, basée sur l’enthousiasme, l’entente, l’émulation et la bonne humeur. Les différentes saynètes sont sous-tendues d’un humour absurde et jouent sur les situations incongrues (papa et poussin s’éclatent en boîte). Comme pour mieux montrer que le père apprend au fils tout ce qu’il faut finalement savoir de la vie : s’amuser. [-]