Le Figaro.fr, Bertrand Guyard, 3 novembre 2014
Il aborde aussi la théorie du genre. [+]
Et si Tarzan devait s'adapter à la mondialisation ?
Et si quelques secondes avant de monter sur l’échafaud Louis XVI avait eu l’heureuse présence d’esprit de déclarer : « Un instant je vous prie ! J’ai une nouvelle idée pour abaisser le coût du travail », l’histoire de France aurait certainement vu son cours modifié. Le dessinateur Stéphane Trapier s’est fait une spécialité du décalage temporel. Dans son nouveau livre dessiné, Tarzan contre la vie chère, il s’ingénie à mettre dans la bouche de ses héros, et antihéros, préférés des phrases incongrues directement tirées de notre culture du moment.
Trapier appartient à la lignée des grands dessinateurs de presse qui, en une caricature, savent éclairer la ligne éditoriale de leur journal. Dans Tarzan contre la vie chère, le talentueux pasticheur aborde tous les grands thèmes qui taraudent notre époque. Le perpétuel double sens de son trait et de ses bulles laisse libre le lecteur d’interpréter à sa façon ses dessins.
La couverture de Tarzan contre la vie chère donne le la de son ouvrage. On y voit le roi de la jungle hurler son fameux cri de ralliement face à un Lénine cravaté, les mains dans les poches, aussi stoïque que perplexe. Un peu plus loin, il évoque le féminisme. Il est incarné par sa plus illustre représentante, Simone de Beauvoir. L’auteur du Deuxième Sexe s’adresse à Jean-Paul Sartre en citant le refrain de la chanson de Cookie Dingler : « Être une femme libérée, tu sais, c’est pas si facile. »
Il aborde aussi la théorie du genre. Un cow-boy viril, mais tendre s’adresse à sa dulcinée. Il lui assène les paroles ambiguës de la chanson de Mylène Farmer : « Sans contrefaçon, je suis un garçon. » Il pastiche aussi un autre sujet de préoccupation des Français en 2014 : les impôts. Un roi de France marie ses enfants. Il leur tient un discours rassurant comme le veut la tradition : « N’importe comment, fiscalement, ça reste une excellente opération… »
On pourrait citer à l’envi les pastiches plein de verve de Stéphane Trapier. Rien n’échappe à son œil acéré : l’éducation, les bonnes mœurs, le mariage, la religion, la psychanalyse… Le contrepied est sa marque de fabrique, le questionnement sa méthode.
L’humour décalé est une arme des plus efficaces. Quatre maîtres du genre ont excellé dans ce domaine. Michel Audiard, dans ses dialogues faisait souvent parler les voyous comme des dictionnaires. Dans Kaamelott Alexandre Astier place dans la bouche des héros de la légende arthurienne des expressions typiques du XXIe siècle. René Goscinny aimait confronter Astérix aux travers des hommes du XXe siècle. Dans Obélix et compagnie le livreur de menhir devient un riche homme d’affaires qui doit lutter contre les affres d’un libéralisme économique échevelé. Enfin Jul, dans Silex and the City, imagine une famille néanderthalienne en proie à la mondialisation et à la toute puissance d’Internet.
Actualité oblige, notre président de la République en exercice est croqué deux fois dans les premières pages de Tarzan contre la vie chère. Dans l’un des dessins, François Hollande entonne : « Les sirènes du port d’Alexandrie chantent encore la même mélodie, Han-Han » de Claude François. Est-ce un message d’espoir ou un pis-aller face à l’adversité qui s’acharne sur son action ? Stéphane Trapier laissera son lecteur se faire sa propre opinion. [-]