L’Accoudoir (blog), Mikaël Demets, 12 juin 2014
Un petit trésor d’ironie, doublé d’une réflexion graphique sur l’omniprésence de la surenchère visuelle. [+]
Prokon, c’est le paradis de la consommation. Tout le monde a un travail ; tout le monde dépense son salaire pour acheter des produits séduisants. « Nous produisons nos propres besoins : nous formons une grande famille heureuse dans une société libre. » Seulement, dans cet Eden où le capitalisme a atteint sa plénitude, un salaud d’inventeur avec une tronche digne du monstre de Frankenstein menace de bousculer l’idyllique équilibre… Ultra-héros réussira-t-il à sauver Prokon ?
Satire de la société de consommation, cette étonnante bande dessinée de 1971 est l’œuvre du graphiste Peter Haars (1940‑2005). Avec un faux premier degré d’une naïveté confondante, ce Norvégien choisit d’appliquer aux comics de super-héros les codes de la publicité : collages, images répétitives, mâchoires carrées, onomatopées gueulardes, trait gras, trames frappantes, gros plans et perspectives vertigineuses s’enchaînent dans des compositions percutantes.
C’est un peu comme si Peter Haars s’était réapproprié la bande dessinée après qu’elle eut été déformée et caricaturée par le Pop Art de Roy Lichtenstein et consorts. On a l’impression que chaque case veut crier plus fort que la précédente, que chaque personnage, évidé par la propreté et la beauté uniforme de Prokon, n’était plus qu’un pantin sans âme, incapable de réfléchir, tout juste capable d’ânonner des slogans éculés. Derrière ce vernis, Peter Haars cache partout des clins d’œil à l’art, à la politique, à la musique, au cinéma, pour donner à sa fable mordante une multitude de sens cachés. Un petit trésor d’ironie, doublé d’une réflexion graphique sur l’omniprésence de la surenchère visuelle. [-]