Diacritik, Christian Rosset, 19 mars 2019
Et j’ai enfin écouté l’ange du bizarre qui est un des narrateurs de ce programme complexe [+]
Immersion est un livre [...] qui fait suite — qui égrène de nouvelles variations sur les mêmes thèmes — à un premier volume, paru il y a trois ans, intitulé Le Programme Immersion (intéressant, d’un livre à l’autre, cet effacement de deux mots, comme si le programme étant en marche, on devait s’immerger encore davantage en surface dans ce nouveau volume de manière quasiment inconsciente). À la lecture de ce nouvel opus se passant toujours dans un « futur proche mais non déterminé » me reviennent ces mots qui concluaient une première recension du Programme: tout me parle et — ce n’est pas un paradoxe — me rend muet. Notant quand même, après avoir exploré dans un premier temps les pages de ce livre comme on le ferait d’une œuvre abstraite, essentiellement génératrice de sensations : ce matin, j’ai repris ma lecture en évitant cette fois de me laisser fasciner par certaines matières, certains blancs, ces pages « muettes » formidables qui pourraient suffire à mon bonheur. Et j’ai enfin écouté l’ange du bizarre qui est un des narrateurs de ce programme complexe qui évoque tant de choses, charrie tant de souvenirs, de références si apparentes qu’on pourrait se croire en terrain familier, alors que tout, en réalité, est singulier dans cette affaire.
Immersion est irracontable — une fois de plus. Toute tentative d’en résumer l’affaire risquant de la réduire à une suite de clichés, on ne peut qu’encourager les amateurs à aller y voir de plus près. Donc les inciter à toucher le papier du regard pour avoir la révélation matérielle de ce qui est peut-être d’abord cosa mentale. S’il y a bien du familier qui s’y déploie, ce n’est que pour mieux nous inciter à perdre nos repères et nous apprendre à prendre distance avec notre addiction au commentaire. Plus ça se joue, du moins en apparence, purement en surface, plus nous nous immergeons, comme malgré nous, dans d’insondables profondeurs. Immersion s’achève par une longue séquence muette où ce qui pourrait être définitivement — et très utilement — broyé serait en premier lieu la possibilité d’interpréter ce qui vient d’advenir de manière univoque. Autant reprendre ces mots du programme accompagnant Immersion : « L’enjeu de ce récit-piège n’est plus, depuis longtemps, de garantir le succès des missions contradictoires qu’il a cru ordonner mais de survivre à sa propre logique dévoratrice, d’endiguer la dynamique implosive par laquelle il progresse... » Et ainsi s’abandonner à ce vertige fixé (comme dirait Genette) que Léo Quiévreux crée par la perfection glacée d’un trait qui a cependant, entre autres vertus, le pouvoir de ranimer chaleureusement notre recherche du plaisir — donc de l’imperfection. [-]