BoDoï, M. Ellis, 29 novembre 2018
Toujours aussi vertigineux, le méta-monde créé par Léo Quievreux continue de fasciner [+]
Riga, le 18 mar 20XX, à l’étage 23 du pôle justice de l’Agence. Le Président de cette cour, Per Esperen, a été relevé de sa fonction directeur technique. Motif : abus de confiance, de pouvoir, mise en danger de quatre membres l’Agence, détournement suspects – il a « subtilisé un individu » – et procédure dissimulée avec la création d’un module complémentaire, le Programme Immersion 0 (PI-0). Mais Per Esperen ne peut plus communiquer ce qu’il se passe de l’« autre côté ». L’écran est muet, la machine est hors de contrôle. D’où la seule question qui vaille pour les membres du conseil : faut-il abandonner les investigations concernant le PI-0 ou tenter de récupérer maximum de données via une connexion entre Per Esperen, Le Chauve et une nouvelle équipe d’agents volontaires ?
Le premier tome du Programme Immersion nous avait littéralement scotchés ! La suite de ce thriller d’anticipation ne fait pas moins bien. Toujours aussi vertigineux, le méta-monde créé par Léo Quievreux (Anyone 40) continue de fasciner en creusant l’idée d’incommunicabilité. Difficile d’en parler au demeurant, puisque le récit s’évertue à explorer champs mentaux des divers personnages et à les balader dans l’espace de l’inconscient : Le Chauve, Per Esperen et des agents missionnés, délicieusement nébuleux, sont ainsi tous plus ou moins connectés grâce à l’EP1 et au module complémentaire. L’intrigue (comment maîtriser la machine ?) se révélant au gré des découvertes sans jamais tout dévoiler, les songes restant souverains.
Léo Quievreux multiplie ainsi les niveaux de lectures, floute volontairement les enjeux, casse toute logique spatiale, temporelle, visuelle ou narrative pour mieux s’engouffrer dans la psyché, aux frontières du fantasme et de la réalité. De mystères en énigmes, ces personnages, troubles solitaires, évoluent dans des paysages froids inquiétants, esclaves de leurs propres souvenirs, que le lecteur observe comme les jouets d’une machination nébuleuse. Léo Quievreux capte des dérèglements, image l’espace intérieur par un splendide expressionnisme en noir et blanc et matérialise des flots de conscience par son approche toute géométrique, nourrie de dérapages, courts-circuits et autres clonages. Trames noires, écrans brouillés et kaléidoscopes composent un méta (ou infra)-monde pour un résultat psychédélique, pas pop mais organique. Ce puzzle mental obsède autant qu’il perd au final, tant l’auteur aime jouer avec l’inexpliqué. Mais jamais gratuitement. Et l’on apprend qu’une suite est en cours de réalisation alors qu’une revue américaine a commandé à l’auteur ce qui ressemble à des prequels du PI. Le labyrinthe, pourtant insondable, se précise encore. On s’en réjouit ! [-]