France Inter, “Addictions”, Anne & Julien, 6 juin 2014
Il y a très peu de planches et il y a une force de frappe absolument délirante. [+]
[43:58] On est dans un récit totalement linéaire qui s’assume en tant que tel, […] on est dans le déshabillage du mécanisme du capitalisme […]. D’abord l’histoire : on est à Prokon, c’est une ville où il fait toujours beau, tout le monde est beau, tout le monde est heureux, tout le monde a du travail, et tout le monde peut consommer ; parce que tout le monde consomme, les patrons peuvent produire, et parce qu’ils produisent il y a du travail, ils peuvent vendre. On est dans une espèce de cercle vertueux, très très bien servi par le dessin. Et puis il y a un savant fou qui arrive, qui veut démolir cet équilibre-là et qui va fabriquer un spray qui fige le produit — c’est-à-dire que le produit ne vieillit plus, donc il fige le désir de consommation. Je ne vous raconterai pas le reste : c’est vraiment intéressant de le lire. Il y a très peu de planches et il y a une force de frappe absolument délirante.
[Peter Haars] est allemand, il est né en 1940 et a mené toute sa carrière en Norvège. Il est extrêmement important pour le développement, l’intellectualisation et l’installation de toutes les lignes qui vont définir et le design et le graphisme. C’est quelqu’un qui va se battre jusqu’au bout, par exemple, pour établir le statut du graphiste qui va exploser dans les années 1970 à la lumière de la bande dessinée underground, le travail des très grands affichistes et puis tout ce travail de pochettes… Donc on est sur un territoire totalement fait à la main où la typographie est un élément de dessin : ce garçon travallait à l’aérographe, et évidemment au Letraset… J’encourage en fait tous les jeunes gens qui aiment le dessin et qui sont habitués, qui apprivoisent Photoshop extrêmement bien, à revenir un petit peu aux bases et à voir l’excellence de ce travail qui n’est fait qu’à l’encre, qui n’est fait qu’à la main, qui est lourd de sens et en même temps qui déploie toute la force et la beauté de ce que peut être le graphisme en tant que tel.
Ce garçon n’a fait que deux bande dessinées. On comprend pourtant la modernité de la façon dont il a généré son travail puisqu’il arrive à tout importer dans les codes de la bande dessinée sans perdre du tout son histoire. Une histoire qui est, encore une fois, très en bloc, c’est une espèce de monolithe, et qui est furieusement d’actualité. Vous pouvez expliquer le capitalisme à un enfant de dix ans [avec Prokon] : d’abord il va s’amuser, c’est totalement ludique, c’est très très beau — le dessin est fantastique.
Vous le retrouverez dans Hey ! : je vais forcément en parler dans la revue, parce qu’en dehors de la bande dessinée c’est une proposition graphique totalement réjouissante. [-]