France Culture, « Revue de presse culturelle », Antoine Guillot, 19 janvier 2015
Très embarrassant, pour le coup, cette surprenante affaire de censure, au lendemain de la mobilisation nationale pour la liberté d’expression [+]
« Les attaques terroristes pèsent sur l’activité économique à Paris », en particulier sur l’hôtellerie et la restauration, constatent Christophe Palierse et Martine Robert dans Les Échos. « Concernant les spectacles, le bilan est plus mitigé. Mercredi soir la salle Gaveau était archicomble pour le concert de l’orchestre de la Loge Olympique. Idem lundi dernier aux Invalides pour le ténor Cyrille Dubois. À l’Opéra de Paris, les spectacles — Ballet de Suède et Don Giovanni — sont complets. […] Très embarrassant, pour le coup, cette surprenante affaire de censure, au lendemain de la mobilisation nationale pour la liberté d’expression en général et le droit à choquer par le dessin en particulier. « Trop explosif, le nouveau spectacle de Patrick Timsit, qui commence [demain] mardi au Théâtre du Rond-Point ? », s’interroge Thierry Dague dans Le Parisien. En découvrant l’affiche où l’humoriste tient une bombe dans ses bras, l’afficheur JCDecaux a estimé que ce dessin risquait de « heurter la sensibilité des passants, déjà éprouvés par les événements tragiques de la semaine [précédente] ». Résultat : le théâtre a dû commander en urgence au dessinateur Stéphane Trapier un autre visuel, placardé à partir [d’aujourd’hui] sur les 82 colonnes Morris parisiennes. Sur cette nouvelle affiche, Patrick Timsit se contente de danser, les mains vides. Ironie de l’affaire : son one-man-show, conçu bien avant l’attentat contre Charlie Hebdo, s’intitule On ne peut pas rire de tout… […] C’est la première fois qu’une affiche du Rond‑Point est retoquée, nous apprend Le Parisien. Du côté de JCDecaux, on explique avoir reçu le dessin en question lundi [dernier], « au lendemain de la marche du 11 janvier ». La direction des ventes a alors saisi le comité de déontologie du groupe, comme à chaque fois qu’une affiche « pose un problème juridique ou éthique ». Seules les colonnes Morris sont concernées : « l’ancienne affiche restera sur tous les autres supports. » « Cette histoire est sidérante et absurde », ne décolère pas le dessinateur Stéphane Trapier, dans Le Monde. « JCDecaux se couche. C’est du politiquement correct précautionneux, c’est le contraire de ce qu’il faut faire. » […] « C’est grotesque, estime Jean‑Michel Ribes, le directeur du Théâtre du Rond‑Point. Cette affiche, évidemment humoristique, a déjà largement été diffusée à la télévision et dans les médias, dans la brochure et sur la façade du théâtre sans que personne s’en soit offusqué ni avant ni après les événements tragiques que nous venons de vivre. » Surtout, ajoute Jean‑Michel Ribes — inquiet de ce réflexe de « panique » et de « frilosité » —, « ce dessin n’a rien d’offensant ni d’impertinent, c’est simplement de la drôlerie. On n’a pas chié dans un tabernacle ! » […] « Cette histoire est grave, ce n’est surtout pas le moment d’interdire ce genre de dessin », déplore le dessinateur. « Nous avons reçu cette demande de JCDecaux sans aucune consultation préalable. À quoi sert le combat en faveur de la liberté d’expression après le drame de Charlie si c’est pour en arriver là ? » Et le directeur du théâtre de s’inquiéter : « C’est comme si la censure était pire qu’avant. » [-]