Black Cat bones (blog), Fabien Thévenot, 2 décembre 2008
Voici un livre littéralement époustouflant, qui devrait aussi bien intéresser les amateurs de bédé [+]
Voici un livre littéralement époustouflant, qui devrait aussi bien intéresser les amateurs de bédé, de montage cinématographique que les férus d’histoire et de théologie. À l’origine (dans les années 30), il y a ce groupe de sœurs vivant dans un petit village industriel des Vosges ayant mis au point une méthode de catéchisme d’un genre particulier. Basé sur l’apprentissage par l’image et sur le phénomène de persistance rétinienne, elles vont produire durant une trentaine d’années des milliers d’images prosélytes, silhouettes noires sur fond blanc, théâtre d’ombres chinoises vouées à lutter contre la modernisation et « l’art matérialiste, cubiste et communiste ». Au cœur du dispositif, l’abbé Bogard, qui décide du programme iconographique. Diffusée durant près de 30 ans dans plus de 80 pays, cette méthode connaitra son heure de gloire au milieu du siècle dernier avant d’être interdite en 1967 par l’Église elle-même, qui la jugeait trop radicale.
Acquises dans leur intégralité par le musée Nicéphore-Niépce en 2005, ces images font aujourd’hui leur réapparition dans un drôle de livre nommé La Méthode Bernadette. Ayant à sa disposition un nombre considérable d’images, Laurent Bruel, directeur des Éditions Matière s’est demandé par quel bout prendre ces images. Comment les reproduire sans altérer ou dénaturer leur sens ? Comment garder ces images intactes tout en leur faisant raconter quelque chose ? En outre, l’histoire même de la Méthode Bernadette à travers ses propres images.
La réponse s’est trouvée dans un prodigieux travail de montage « façon bande dessinée », où les images montées entre elles, adoublées d’une légende, racontent avec la distance nécessaire et le maximum de neutralité possible ce petit bout d’histoire. Le plus étonnant dans la lecture de ce livre est de découvrir à quel point les Sœurs Bernadette, en cherchant à lutter contre la modernité, étaient parvenues à produire des images d’une stupéfiante « modernité anti-moderne ». En refermant ce livre, une question reste posée : Les Sœurs Bernadette ont-elles été modernes malgré elles, ou bien avaient-elles compris la modernité au point de parvenir à se battre avec ses propres armes ? Les textes théoriques qui ouvrent et qui referment ce livre restent malgré eux paradoxalement silencieux face à cette aporie.
(Chronique parue dans le supplément culturel du quotidien suisse Le Courrier daté du 22/23 novembre 2008.) [-]