ActuaBD, Frédéric Hojlo, 6 janvier 2018
[…] une bande dessinée parmi les plus étonnantes parues en 2017 [+]
Employer l’expression d’art séquentiel pour parler de bande dessinée est devenu un lieu commun. Depuis Will Eisner ou Scott McCloud notamment, il y a même une forme de snobisme ― une volonté de se démarquer, de se placer au-dessus de la mêler à bon compte ― à utiliser ces termes qui, s’ils ont permis une approche renouvelée de la bande dessinée, n’en demeurent pas moins réducteurs ou, du moins, oblitèrent certaines des facettes de cet art.
À ceux qui se gargarisent d’art séquentiel sans vraiment lire de bande dessinée : ouvrez Quelques miettes à géométrie variable de Nicolas Nadé (Éditions Matière) ! Il y démontre parfaitement ce qu’est une « séquence graphique » tout en nous donnant à lire une bande dessinée parmi les plus étonnantes parues en 2017.
Aucun super-héros, pas même de personnage. Nulle histoire au sens traditionnel, ni même quelques anecdotes autobiographiques. Simplement une séquence continue de 120 pages, faite de formes et de volumes géométriques, de lignes droites et de courbes, de textures et de trames, de gravité et d’apesanteur, de vides et de pleins.
Nicolas Nadé n’invente pas la bande dessinée abstraite. D’abord parce que dessiner une suite de formes géométriques est un exercice peut-être presque aussi ancien que l’humanité. Ensuite parce que l’abstraction n’est ni son sujet, ni son mode d’expression ― s’il est possible de l’écrire ainsi. Il y a bien un déroulement, comme une évolution tout au long de ces Quelques miettes à géométrie variable. Chacun pourra y voir ce qu’il désire : la naissance d’un nouvel univers, l’exploration d’un mécanisme aussi vaste que complexe, un voyage dans l’infiniment petit ou encore une saga de science-fiction minimaliste...
Peu importe finalement. Le travail de Nicolas Nadé, qui rappelle un peu certaines œuvres de Vassily Kandinsky et pourrait se lire à l’aune de son ouvrage Point et ligne sur plan (1926), qui fait aussi songer au constructivisme, fascine par ses enchaînements, la variété de ses formes et de ses compositions ainsi que l’habileté de son découpage. Il y a quelques chose d’hypnotique dans ses pages, quelque chose qui tient à la fois de l’éternel recommencement ― le mouvement perpétuel en bande dessinée ? ― et du parcours dans un labyrinthe tapissé de miroirs.
Tout ceci se retrouve, certes avec moins d’ampleur, dans deux séquences plus courtes, l’une intitulée Cadence et proposée à la suite de Quelques miettes à géométrie variable, l’autre nommée Ingrédients et se présentant sous la forme d’un petit livre-accordéon, ou leporello. Nous y parcourons à chaque fois de drôles de paysages, landes désolées d’une géométrie envahissant tout, terrains de randonnées visuelles au cours desquelles la chute n’est pas exclue.
Venu à la bande dessinée via la revue Mon Lapin de L’Association (2013) et une invitation de Jochen Gerner, avec qu’il possède une indéniable parenté de style, Nicolas Nadé est aussi à l’aise au dessin qu’à l’imagerie 3D. Il esquisse dans Quelques miettes à géométrie variable ce qui pourrait devenir l’un des chemins de la bande dessinée. Sans doute pas celui qui sera le plus emprunté, mais qui mérite cependant d’être exploré, comme toutes les voies dont l’issue est inconnue. [-]