ActuaBD, Frédéric Hojlo, 5 juillet 2021
une bande dessinée dont la proposition, aussi simple que radicale, questionne notre perception de la perspective, notre vision des couleurs et notre conception du récit [+]
RENCONTRES ESTIVALES #5. « Autrice de bande dessinée » : ce n’est pas la première expression qui vient en tête lorsque l’on découvre le travail de Frédérique Rusch. Ludiques, colorées, minimalistes, en deux ou en trois dimensions, ses œuvres relèvent davantage d’un graphisme contemporain héritier de l’art conceptuel que de la bande dessinée la plus courante. Pourtant, Untitled (comic book), dont une nouvelle édition vient de voir le jour chez Matière, est bien une bande dessinée, dont l’alignement de cases crée une séquence à laquelle on peut donner un sens – ou pas, en l’occurrence. Mais c’est une bande dessinée dont la proposition, aussi simple que radicale, questionne notre perception de la perspective, notre vision des couleurs et notre conception du récit.
FH —— Quelle est l’origine d’Untitled (comic book) ?
— Untitled (comic book) est initialement paru en 2013 aux Éditions du livre et imprimé en risographie par Hato Press (Londres). Cela fait donc déjà huit ans. À cette époque, mon travail était fondé sur des croisements entre des œuvres et/ou artistes que j’aimais. Si la forme finale aboutissait toujours à une édition, le contenu pouvait être de nature très différente.
Sur ce principe, j’ai plus tard auto-édité Untitled (swimming pool), un court texte (sans image) sur la peintre Agnès Martin, en reprenant la mise en page de Nine swimming pools and a broken glass d’Edward Ruscha.
Dans le cas d’Untitled (comic book), j’ai croisé les couleurs d’un tableau moderne – Piet Mondrian – et un gaufrier de comic – Black Hole de Charles Burns. Au-delà de ces deux œuvres emblématiques, il y a surtout l’idée de lier la peinture et la bande dessinée, justement cloisonnées dans l’histoire de l’art, et l’envie de déhiérarchiser ces deux expressions artistiques, qui m’intéressent autant l’une que l’autre.
Faire une bande dessinée n’était donc pas intentionnel au départ, mais découlait de mon principe d’hybridation d’œuvres qui m’interpellent.
FH —— Untitled (comic book) est-elle une bande dessinée minimaliste ? Cubiste ? Abstraite ? Ou pas du tout une bande dessinée ?
— On peut définir Untitled (comic book) comme une bande dessinée minimale abstraite, tant pour le dessin que la narration : en seize pages, quatre cases de couleurs primaires disparaissent à mesure que la perspective approfondit les cases. Cela donne une illusion d’éloignement et de profondeur.
Mais on peut aussi la classer dans une nouvelle catégorie : « bande dessinée non intentionnelle »... Plus sérieusement, ce livre peut se rapprocher des démarches d’artistes comme Stefanie Leinhos, Margaux Duseigneur, Alexis Beauclair, Nicolas Nadé ou encore Nadine Redlich dont l’ouvrage Ambient Comics édité par Rotopol est l’une de mes références.
Untitled (comic book) a également fait partie de la sélection d’Amir Brito Cador pour l’exposition « Conceptual comics » au Cabinet du livre d’artiste à Rennes en mars 2020.
FH —— Comment ce livre s’intègre-t-il à votre travail ? En est-il un reflet, une extension, une exception ?
— C’est une exception dans mes productions, dans la mesure où je n’ai pas refait de bande dessinée depuis (mais, un jour, qui sait ? !). En même temps, cela reste en relation avec mes dessins actuels : variations de formes géométriques, tracées avec des règles et normographes, colorées en aplats de gouache. Et le goût pour l’absurde !
Mes dessins fonctionnent généralement par séries. Formellement, je cherche à abstractiser des objets, des émotions, des éléments du corps, des animaux, des situations sociales, tout ce avec quoi on est en relation quotidiennement. Pour cela, je joue avec les contraintes des outils, les proportions et les couleurs. Je mise aussi beaucoup sur ce qui arrive de manière inattendue pendant que je dessine. [-]