La dessinatrice Danny Steve publie sa retranscription graphique de dix minutes d’un épisode des
Feux de l’amour diffusé en 1997. Ou comment, quand ça fait 33 ans que ça dure, n’importe quelle tranche de tragédie extraite d’une chaine de fatalités quotidiennes suffit à nous faire désirer pour nous-mêmes une autre vie.
Depuis 1973 dans la série
Les Feux de l’amour se marient, se déchirent, vieillissent et meurent des « clans » composés et recomposés de jeunes, vieux, beaux, et autres agités plus ou moins fortunés. Ce qui signifie que, pour certains d’entre adeptes du feuilleton comme pour certains acteurs ayant vécu plusieurs âges à l’intérieur du Tube, les
Feux de l’amour représentent pratiquement toute une vie aplatie. Pour
10 minutes des Feux de l’amour, Danny Steve a travaillé d’après un enregistrement VHS, à l’aide d’un magnétoscope au temps de pause limité. La devise du soap-opera devient celle de la dessinatrice : « Si j’avance je suis mort, si je recule je suis mort, alors pourquoi reculerais-je ? », devise qui n’est pas sans rappeler le pacte d’écriture de Montaigne dans ses
Essais : « J’ajoute, je ne corrige point. » Objectif, « l’authenticité » de l’épisode pour les lecteurs avec, en prime, l’authenticité de la création sur trame existentielle. La matière cathodique inerte est croquée plan par plan comme un modèle vivant par le trait spontané et cruellement enfantin de Danny Steve, dialogues et prénoms sont modifiés, quelques motifs tamponnés sur le tout pour l’épaisseur. La retranscription de l’épisode est fidèle et subjective, ce qui, merci, n’est pas incompatible, nous sommes sauvés pour cette fois. Des désirs, amour, langage, poésie, naguère contraints par le format sortent de l’abîme par les quatre coins du cadre. Et nous découvrons, entre autres, dans
10 minutes des Feux de l’amour, un instantané Portrait de l’Artiste. « J’ai enfin trouvé qui je suis », dit la Lucidia de Danny Steve.
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