Les Cahiers lyophilisés [tumblr], Thomas Bernard, 1 mars 2022
Malheureusement, Trapier — comme Glenn Baxter ou encore Pierre La Police — est victime d’un quiproquo d’envergure [+]
L’ART DE LA DÉROUTE
Dans le milieu, c’est un secret de polichinelle : Trapier est un as du copiage, un cador du collage, qui même en s’appliquant, arrive à faire des bourdes bien plus grosses que lui…
À vrai dire, comme tous les bons décalcomaniaques dilettantes, la reproduction fidèle Trapier s’en tape. Ce qui lui titille les neurones, à ce talentueux gougnafier, ce sont les petites imperfections de son trait grassouillet, ces maladresses involontaires qui rendent possibles les mélanges hasardeux et les associations saugrenues.
À la manière des grands combinateurs pops de notre époque, Trapier dégote là où il peut (grenier familial, brocante, internet) le matos nécessaire pour mitonner cet univers surréaliste et kitsch qui fait sa renommée depuis le début des 90’s. Mais sa sauce à lui est bien plus épaisse, moins bigarrée et davantage flaubertienne. Le parfum d’étrangeté qui s’en dégage vient sûrement de cet aspect désuet mais chic — assez proche d’un Floc’h des banlieues pavillonnaires — que vient épicer un certain esprit « déconnant » que n’aurait peut-être pas renié Topor.
Malheureusement, Trapier — comme Glenn Baxter ou encore Pierre La Police — est victime d’un quiproquo d’envergure : il fut un peu trop vite catalogué par la presse spécialisée comme un des maîtres de l’humour absurde, un pro du détournement… Mon cul ! La vérité à son sujet est bien plus cruelle : son truc à Trapier, c’est la déroute. Ruiner les codes du dessin humoristique, afin de foutre l’humour en faillite une bonne fois pour toute !
Dans son œuvre, Stéphane Trapier, tel un Bouvard et Pécuchet du gag, reproduit inlassablement le dysfonctionnement d’une mécanique du rire, son fiasco monotone. À la vue du moindre de ses dessins, les mâchoires se crispent et le sourire se mue en grimace. La débandade n’est jamais bien loin, et le lecteur dont le cerveau n’a pas encore pris la fuite sombre à son insu dans des abîmes de désarroi. Cette entreprise désastreuse pour l’esprit Gaulois peut paraître ridicule, elle n’en reste pas moins grave voire tragique à mes yeux. Car Trapier, au risque d’y gagner une belle dépression, ne nous annonce pas moins, à grands coups de pinceau, que c’en est fini de l’ironie. Et ça, moi, ça me fait mourir de rire. [-]