L'accoudoir (blog), Mikaël Demets, 19 octobre 2010
Comment Yûichi Yokoyama rend-il ses livres aussi magnétiques ? [+]
Comment Yûichi Yokoyama rend-il ses livres aussi magnétiques ? Le Japonais signe pourtant trois récits sans débuts ni fin, sans rebondissements, sans intrigue. Trois moments, hantés par des personnages silencieux qui progressent dans des paysages uniformes à perte de vue. Tantôt des kilomètres de cailloux, tantôt de la verdure qui paraît domestiquée. Et toujours, cette étrange impression d’anormalité. Pourquoi les explorateurs portent-ils des accoutrements aussi bigarrés et fantaisistes ? Pourquoi aucun mot n’est échangé au cours de ces 130 pages ? Pourquoi ces individus bizarres passent-ils leur temps à observer la nature ? Pourquoi : c’est la question à laquelle ne répond jamais Yûichi Yokoyama, le mystère qui illumine ses albums au point d’engendrer une tension écrasante qui fait office de ressort narratif. On ne peut s’empêcher d’essayer de combler ce vide, s’accrochant aux bribes d’indices pour formuler des hypothèses. En vain : Yokoyama ne lâche rien.
Qu’ils lancent des missiles téléguidés pour prendre des photos du paysage, trouvent des abris pour observer la plaine submergée par des averses torrentielles ou installent un camp au cœur de la forêt pour côtoyer des antilopes sauvages, l’objectif de ces énigmatiques explorateurs reste le même : regarder, scruter, contempler. Surveiller ? Qui sait… Chez Yokoyama, les personnages, amputés de toute forme de caractère, deviennent des réceptacles pour le lecteur, souvent embarqué en vision subjective pour découvrir une nature foisonnante, entre minimalisme robotique façon Lego et assemblages farfelus dignes d’un manga SF. L’utilisation des onomatopées, hyper esthétisées et intrusives, crée un contraste troublant entre le silence des humains et le vacarme assourdissant des machines ou de la pluie. Architecte fou, démiurge psychorigide, l’auteur nippon transmet ses émotions non pas, comme n’importe quel auteur, par le biais de ses personnages ou de leurs actions, mais à travers la mise en scène de mondes étonnants, déstabilisants et en même temps inexplicablement familiers. Un peu comme dans ces rêves déroutants, où l’on croit être quelque part et que l’on est, en fait, ailleurs. [-]