Le Journal de Saône-et-Loire, Fabien Thévenot, 22 novembre 2008
Voici un livre littéralement époustouflant, qui devrait aussi bien intéresser les amateurs de [+]
Sœurs de combat.
Voici un livre littéralement époustouflant, qui devrait aussi bien intéresser les amateurs de BD, de montage cinématographique que les férus d’histoire et de théologie. À l’origine de l’œuvre : un groupe de sœurs vivent dans un petit village industriel des Vosges, dans les années 1930, qui a mis au point une méthode de catéchisme d’un genre particulier. Avec leur système basé sur l’apprentissage par l’image et le phénomène de la persistance rétinienne, elles vont produire durant une trentaine d’années des milliers d’images prosélytes, silhouettes noires sur fond blanc, théâtre d’ombres chinoises vouées à lutter contre la modernisation et « l’art matérialiste, cubiste et communiste ». Au cœur du dispositif, l’abbé Bogard, qui décide du programme iconographique. Diffusée durant près de 30 ans dans plus de 80 pays, cette méthode connaîtra son heure de gloire au milieu du siècle dernier avant d’être interdite en 1967 par l’Église elle-même, qui la jugeait trop radicale.
Acquises dans leur intégralité par le musée Nicéphore Niépce en 2005, ces images font aujourd’hui leur réapparition dans un drôle de livre nommé La Méthode Bernadette. Ayant à sa disposition un nombre considérable d’images, Laurent Bruel, directeur des Éditions Matière, s’est demandé par quel bout les prendre. Comment les reproduire sans altérer ni dénaturer leur sens ? Comment garder ces images intactes tout en leur faisant raconter quelque chose ? La réponse s’est trouvée dans un prodigieux travail de montage « façon bande dessinée », où les images montées entre elles, doublées d’une légende, racontent avec la distance nécessaire et le maximum de neutralité possible ce petit bout d’histoire.
Le plus étonnant dans la lecture de ce livre est de découvrir à quel point les sœurs Bernadette, en cherchant à lutter contre le modernisme, étaient parvenues à produire des images d’une stupéfiante « modernité anti-moderne ». En refermant ce livre, une question reste posée : les sœurs Bernadette étaient‑elles modernes malgré elles, ou bien avaient‑elles compris la modernité au point de parvenir à se battre avec ses propres armes ? Les textes théoriques qui ouvrent et referment ce livre restent malgré eux paradoxalement silencieux face à cette aporie. [-]